en tête


Accueil L'association La photo du mois Reportage Souricette Mini-bulle Souris-bi Souris-bulle Michel Barry Le Mag Archives

La chronique de Michel Barry: le vol au second régime


Michel Barry

Voler au second régime.. danger !

Vous avez tous entendu cette mise en garde péremptoire bien que de moins en moins de pilotes connaissent la mécanique du vol au point de comprendre ce que sont réellement ces deux fameux régimes : le premier qui est présenté comme inoffensif et le second comme synonyme la plupart du temps de décollage laborieux voire d'accident.
Les lois élémentaires de la mécanique du vol, déjà évoquées dans une communication précédente (bulletin n° 21/ février 2002) concernant les performances en montée, permettent seules d'expliquer les deux régimes et qui veut comprendre doit en assimiler les rudiments.


1. Puissance disponible, puissance nécessaire

Les 2 courbes tracées dans le domaine (vitesse, puissances) représentent :

fig 1

Fig. 1 : L'évolution de la puissance nécessaire Pn à assurer le vol en palier à une altitude donnée pour un appareil de masse fixe (ex : une souricette à 200 kg) .
On voit que cette courbe passe par un minimum pour une vitesse de l'ordre de 70 km/h et que la puissance nécessaire pour voler en palier à cette vitesse est de 9 cv. Toute autre vitesse différente, supérieure ou inférieure, nécessite donc de ce fait une puissance supérieure : par exemple 16 cv à 110 km/h ou 20 cv à 50 km/h .

fig 2

Fig.2 : L'évolution de la puissance de propulsion disponible ou puissance utile Pu délivrée par le GMP et qui viendra à chaque instant compenser le besoin de la cellule.
Si l'hélice et le moteur étaient parfaitement régulés cette courbe serait une droite horizontale, fonction vers laquelle tendent les GMP à pas variable par des lois de régulation plus ou moins compliquées. Pour une hélice à pas fixe on définit un calage de pale ou un pas qui permettent au GMP de fournir une puissance disponible maximale à une vitesse voisine de la vitesse de montée optimale c'est à dire dans la phase du vol où l'on en a le plus besoin. On comprend alors que pour de vitesses supérieures ou inférieures la puissance disponible sera plus faible et ce choix résulte d'un compromis entre les performances en montée et les performances en croisière.
En ce qui concerne le cas particulier des appareils de faible puissance comme la Souricette on privilégie bien entendu la puissance en montée au détriment de la puissance en croisière moins vitale.


2. Exploitation des courbes de puissance

Remarque :
- Pour un appareil et un environnement donnés (masse, configuration aérodynamique, altitudepression) la courbe de puissance nécessaire est unique et ne dépend pas du moteur.
- Pour un GMP donné il existe une infinité de courbes de puissance disponible qui sont fonction de la position de la manette des gaz. Pour comprendre la suite on raisonnera avec la courbe de puissance maximale (plein gaz).

fig 3/4

Fig.4 Deux points d'intersection des courbes : point A et point B représentent chacun une solution à l'égalité Pu = Pn
- Point A : l'appareil vole à 110 km/h en utilisant 16 cv utiles
- Point B : l'appareil vole à 50 km/h en utilisant 20 cv utiles

Lorsque l'appareil vole en régime stabilisé les 2 puissances sont égales (Pu et Pn) et s'équilibrent .
Sur le graphe Fig.4 vous constatez qu'il existe une solution à cette égalité si les courbes les représentant ont des points communs A et B, c'est à dire si la puissance utile est supérieure ou égale à la puissance nécessaire : Pu >Pn.
On remarque aussi Fig.3que les points d'intersection entre les 2 courbes n'existent pas si :
- La masse est trop grande (m= 300 kg par exemple) entraînant une puissance nécessaire Pn trop élevée
- La puissance utile Pu est trop faible

A remarquer que toute autre vitesse comprise entre 50 et 110 km/h pourrait être stabilisée à condition de réduire la puissance utile (Pu réduite Fig.4). Dans ce cas A se rapproche de B et le domaine de vitesse A'B' donne un palier possible plus étroit.
Il existe donc en général deux solutions possibles au vol en palier de cet appareil quand il utilise soit la pleine puissance disponible soit une puissance réduite mais cependant suffisante pour assurer le palier ; mais il s'agit là de solutions, à des équilibres théoriques de la vitesse, dont l'une est Stable et l'autre Instable.

Remarque concernant les grands principes de la stabilité en Mécanique :
Un problème de stabilité de base est constitué par l'équilibre du bâton posé sur votre doigt.
La solution générale de l'équilibre mathématique est donnée par : bâton vertical (ou inclinaison du bâton par rapport à la verticale nulle) et ce indépendamment du point de fixation.
Or vous savez que si le bâton est posé sur votre doigt l'équilibre est instable et seulement assuré par un déplacement habile de votre main alors que le bâton suspendu par un point de fixation proche de son extrémité supérieure est en équilibre stable et même capable de retrouver cette position si de son extrémité supérieure est en équilibre stable et même capable de retrouver cette position si une perturbation l'en écartait.

De même que dans cet exemple on s'intéresse à la loi de stabilisation de l'inclinaison du bâton en fonction des perturbations extérieures, dans l'exemple de l'avion en palier on s'intéressera à la loi de stabilisation de sa vitesse V en fonction des perturbations extérieures sans lesquelles tout raisonnement concernant la stabilité est impossible.

Ainsi pour l'avion le point A est stable : en effet si une perturbation accroît sa vitesse (115 km/) la puissance nécessaire augmente alors que la puissance utile n'est plus suffisante et de ce fait l'appareil ralentit.
Si une perturbation diminue la vitesse (105 km/h) la puissance nécessaire diminue et la puissance utile augmente en tout cas lui devient supérieure ce qui produit une accélération.

En croisière vous volez naturellement à ce point A et l'avion semble parfaitement stabilisé en vitesse ; seuls quelques écarts d'altitude ou de menues perturbations atmosphériques produisent de petites variations de la vitesse qui oscille faiblement autour de la vitesse moyenne affichée; aucune habileté particulière de votre part n'est requise pour la surveiller.
Tel le bâton suspendu à son extrémité supérieure, il retrouve sa position d'équilibre par lui-même.
A 110 km/h on dit que « l'avion vole au premier régime »

fig 5

Fig. 5 Mécanisme de l'instabilité au point B

De même le point B est instable : En effet si une perturbation accroît sa vitesse (55 km/h) la puissance nécessaire diminue alors que la puissance utile augmente et l'appareil continue de ce fait d'accélérer jusqu'à l'égalité des 2 puissances c'est à dire jusqu'au point A, à 110 km/h, ce qui représente une fin heureuse.
Au contraire si une perturbation diminue la vitesse (45 km/h) la puissance nécessaire augmente (l'avion s'approche du décrochage) alors que la puissance utile diminue ce qui accentue la décélération.
Vous n'avez plus de réserve de puissance puisque vous êtes à la puissance utile maximale et vous décélérez de ce fait inexorablement jusqu'à la vitesse de décrochage dont vous n'étiez de surcroît déjà pas très loin. Tel le bâton en équilibre sur votre doigt dont l'inclinaison ne cesse de varier, votre vitesse diminue.
Seule issue heureuse possible : diminuer la puissance nécessaire au maintien du palier en piquant instantanément de façon à ce que la puissance utile soit rattrapée et permette un retour vers le premier régime et ce avec une dextérité permanente semblable à celle nécessaire au maintien de l'équilibre du bâton sur votre doigt. Mais dès que la vitesse tombera au-dessous de 50 km/h il n'est plus de palier possible et vous courrez au crash si votre hauteur est insuffisante.
A 50 km/h on dit que « l'avion vole au second régime »


3. Séparation des deux régimes Fig. 6

fig 6

La différence de comportement vue sous l'angle de la stabilité en vitesse autour des deux points A et B est due essentiellement à l'évolution du différentiel de puissance (Pu-Pn) ou excédent de puissance, en fonction de la vitesse V c'est à dire à la tendance de l'avion à accélérer ou à décélérer après une perturbation de sa vitesse.
A noter que cet excédent de puissance est directement lié à la vitesse verticale Vz et ne vous étonnez pas de retrouver les fonctions Vz(V) et (Pu - Pn)(V) homothétiques (cf. communication sur les performances au décollage dans Bulletin n° 21 / février 2002)

- Si l'excédent de puissance diminue quand la vitesse diminue (ou augmente quand la vitesse augmente) on est au second régime.
- Si l'excédent de puissance diminue quand la vitesse augmente (ou augmente quand la vitesse diminue) on est au premier régime.
Pour la formulation mathématique on étudierait le signe de la dérivée de la fonction (Pu-Pn) par rapport à la vitesse V :
d(Pu-Pn)/dV < 0 1er régime
d(Pu-Pn)/dV > 0 2nd régime
d(Pu-Pn)/dV = 0 condition de séparation des deux régimes
A remarquer l'existence d'une vitesse critique Vcr caractéristique de l'appareil et de sa configuration, au-dessous de laquelle on passe au second régime.


4. Le décollage au second régime.

Remarque : Le vol au second régime n'est pas dangereux s'il s'effectue à une hauteur suffisante pour pouvoir en piquant diminuer la puissance nécessaire au vol Pn afin de retrouver le 1er régime grâce à la transformation temporaire de l'énergie potentielle en énergie cinétique (augmentation de V au-dessus de Vcr, vitesse de séparation des régimes). C'est l'exercice que vous effectuez lors d'un décrochage avec moteur et au cours duquel on vous montre qu'en rajoutant de la puissance avant que le point B ne soit atteint on repasse au 1er régime sans perdre d'altitude.

Mais au décollage votre énergie potentielle est nulle. Ainsi en passant au second régime ou en décollant à une vitesse inférieure à la vitesse de séparation des régimes Vcr puis en laissant ensuite maladroitement l'appareil décélérer à cause du réflexe qui vous intime de tirer le manche pour gagner un peu de hauteur vous atteignez rapidement le point B et les carottes sont cuites ! Vous ne pourrez jamais retrouver le 1er régime avant d'avoir pris contact plus ou moins brutalement avec le sol.
Par contre si, dès que vous identifiez et analysez le passage au second régime, vous faîtes un palier au cours duquel le faible excédent de puissance qui ira croissant vous permet d'accélérer jusqu'à une vitesse supérieure à Vcr vous sauvez la situation en passant au 1er régime.

Le décollage à forte incidence est un cas de décollage au second régime (accident de la Minibulle rouge). En effet sur les appareils à train classique l'assiette au sol permet avec l'effet de sol de décoller à une vitesse à peine supérieure à Vs, vitesse de décrochage mais bien inférieure à Vcr. Ainsi vous êtes en l'air au second régime et pour peu que vous voliez entre VB (50 km/h dans l'exemple choisi) et Vcr le léger excédent de puissance vous hisse à une hauteur non négligeable alors que vous décélérez rapidement au-dessous de VB sans avoir le temps ni les moyens de reprendre un peu de vitesse en rendant la main et c'est le crash mathématiquement inévitable.

C'est la raison pour laquelle les avions accélèrent au décollage la queue haute (qu'ils soient à train classique et c'est vous qui ajustez la bonne assiette ou à train tricycle et dans ce cas le constructeur l'a fixée) de façon à :
- Atteindre plus tôt une vitesse de décollage recommandée ( Vr pour vitesse de rotation d'assiette) par diminution de la traînée globale.
- Empêcher le décollage prématuré en attendant patiemment Vr vitesse dite de « rotation », en général légèrement supérieure ou égale à Vcr et dont le respect garantit au pilote qu'il est protégé d'un passage au second régime.


Conclusion :

Vous avez compris je l'espère à la fois le mécanisme et aussi la dangerosité du vol au second régime. Les petits avions disposant d'un faible excédent de puissance y sont très vulnérables d'autant plus que leur faible inertie et les petites amplitudes de leur domaine de vitesse produisent des passages du premier au second régime très rapides.

Heureusement la réciproque est vraie et le retour au premier régime est toujours possible pour celui qui identifie rapidement la situation et y apporte une parade efficace en rendant la main et en appliquant la puissance maximale (si elle n'était déjà appliquée).
Sur les avions de fort tonnage propulsés par des turboréacteurs (GTR) le second régime, défini sensiblement de la même façon qu'avec un GMP mais en remplaçant la notion de puissance par la notion de poussée, est un régime de vol courant qui permet les atterrissages à vitesse réduite. Il fait appel, d'abord, à une extrême vigilance sur la vitesse avec des équipages entraînés et, ensuite, à des dispositifs de la vitesse type « automanettes» qui ajustent la puissance requise pour une vitesse de référence choisie pour l'approche.
La forte inertie de tels avions facilite le maintien de leur vitesse par le dispositif d'asservissement mais, revers de la médaille, rend toute tentative de retour à un régime contrôlable impossible une fois le point B dépassé par valeurs inférieures de V.

Michel BARRY ( 28 juillet 2003)

Haut de page

PS : cet article de Michel BARRY a été publié dans le Bulletin Air Souris Set N° 28 ( octobre 2003)